GONG - You - octobre 1974

28 Janvier 2018

L’album You du groupe de rock progressif franco-anglais GONG est sorti en octobre 1974 (enregistrement chez Virgin Records en octobre 1974). Il achève la trilogie Radio Gnome Invisible (œuvre centrale de GONG) après Flying Teapot (mai 1973) et Angel's Egg (décembre 1973). Dans les années 70, les musiciens du groupe jouaient dans leurs concerts déguisés en shamans et en lutins avec une grande théâtralisation et beaucoup d’humour (voir l'article sur les concerts de GONG).

Affirmation des musiciens et tension dans le groupe

C’est le premier album dont l’écriture est collective. Benoît Moerlen (frère du batteur) comme second percussionniste et Miquette Giraudy (compagne de Steve Hillage) comme adjointe aux chœurs de Gilli Smyth, rejoignent l’équipe présente sur l’album précédent. Les musiciens vont également mettre en valeur leurs talents d’instrumentistes par des solis remarquables dans les quatre titres essentiels de l’album : le saxo et la guitare dans Master Builder et Isle of Everywhere, les synthés dans A Sprinkling of Clouds, flûte dans You Never Blow Your Trip Forever et les percussions stupéfiantes dans les quatre morceaux. Les chants et chœurs sont également remarquables dans le dernier titre.

Mais en même temps que l’expression de chaque musicien se libère, il y a une montée de tension et de conflits au sein du groupe qui le fragilisent. Les divergences de la fin d’année 1974 annoncent l’éclatement du groupe l’année suivante.

L’album et sa musique

La structure de l’album est aussi significative des tensions dans le groupe : d’un côté, quatre courts titres chantés (n°1,2,3 et 6, essentiellement chantés par Daevid Allen) et aussi dans le dernier titre en grande partie instrumentale, You Never Blow Your Trip Forever, soit en gros 12 mn en tout et de l’autre, quatre pièces instrumentales, soit 33 mn au total. C’est dire si la place du fondateur-chanteur est fortement relativisée au profit des musiciens (c’était déjà un peu le cas dans l’album précédent, Angel's Egg). En gros un album avec bien moins d’humour décalé qui était pourtant un des traits caractéristiques du groupe.

On peut aussi regrouper les titres en deux versants : le versant mystique dans le quel Daevid Allen domine est incontournable et le versant instrumental spatial où dominent les instrumentistes Steve Hillage, Tim Blake, Didier Malherbe. L'apparente cohésion du groupe cache mal la divergence et le conflit entre le fondateur qui s’efface et les musiciens qui affirment leur talent et prennent ici la place essentielle.

Quelques notes sur les titres

Les deux premiers titres constituent une sorte de préliminaire à l’album.

Thoughts for Naught

L’album commence par un court titre, ballade bucolique chantée par Daevid Allen et Gilli Smyth, aux paroles ésotériques, sur un motif musical répété à base de flûtes.

A PHP's Advice

Ce deuxième court titre chanté se rapproche plutôt du style ZAPPA, donc assez "déjanté" au niveau musique et paroles, titre qui rappelle l’ironie des premiers albums de GONG. Instruments : percussions, saxo et autres instruments à vent.

Magick Mother Invocation

Ce titre n’en est pas un mais plutôt la première partie très mystique du titre Master Builder qui le suit sans pause. Il est constitué de chœurs en boucle, aux voix graves, accompagnés du chant aigu de Gilli Smyth.

Master Builder

C’est le premier titre essentiellement instrumental de l’album avec un peu plus de 6mn. Le morceau est constitué de trois parties de chants incantatoires entrecoupées de deux parties instrumentales (dont la 1ère qui progresse en jazz-rock).

C’est un excellent ensemble de rock progressif incluant une montée crescendo (1er chant et 1er instrumental) sur un rythme soutenu de batterie puissante de Pierre Moerlen (à partir de 1mn30) avec un arrêt brusque à 3mn27 (pause champêtre aux chants d’oiseaux) puis une reprise montant crescendo jusqu’à la fin (incluant 2ème chants incantatoires, 2ème partie instrumentale et 3ème chant incantatoire.

Les chants incantatoires à plusieurs voix (référence au chamanisme) sont des invocations aux paroles mystérieuses (lire les paroles sur l’article suivant), sur fond musical varié à base de synthés aux accents space rock avec flûtes et percussions - et guitare électrique pour le 2ème chant.

- 1ere partie instrumentale à 1mn33: solo de saxo (sopranino et tenor) crescendo de Didier Malherbe qui s’enraye à 3mn - notes discordantes et déconstruction (à 3mn27 pause) ;

- 2ème partie instrumentale à 4mn5 : guitares électriques de Steve Hillage et Daevid Allen aux riffs enivrant proches des expérimentations de Jimmy Hendrix (à 5mn30).

- Final : 3ème chant crescendo et arrêt soudain.

A Sprinkling of Clouds

Titre entièrement instrumental, très progressif, montant crescendo de près de 9mn dans lequel les claviers (synthés) de Tim Blake font merveille en sonorités cosmiques très éthérées (qui me font penser à PINK FLOYD) sur un rythme de percussions appuyé. Puis les guitares électriques de Steve Hillage et de Daevid Allen (guitare glissando) prennent le relai (à 5mn45) avec un superbe solo de riffs délirants, pour laisser la place à 7mn aux instruments à vent (saxo et flûtes diverses (basse et bambou) de Didier Malherbe. Final sur magnifiques sonorités de flûtes de pan indiennes. Les transitions entre instruments sont particulièrement soignées.

En conclusion A Sprinkling of Clouds est un très beau titre de space rock progressif et un des morceaux précurseurs de la musique électronique.

Perfect Mystery (face2),

Court titre chanté tantôt séparément tantôt en chorus, par Daevid Allen & Gilli Smyth et dont les sonorités dissonantes soulignent les paroles burlesques (voir les paroles dans article suivant). C’est un beau titre qui peut rappeler FRANK ZAPPA, alternant partie chantée et partie instrumentale, aux motifs mélodiques variés légèrement envoûtant.

Isle of Everywhere

Un long titre quasi instrumental de plus de 10mn, dans un style de jazz très funky, montant crescendo. La première partie commence avec très bonne basse de Mike Howlet sur un rythme de batterie soutenu. On entend le fond des voix éthérées délirantes de Gilli Smyth. Puis (à 3mn27) Didier Malherbes prend le relai avec de superbes solos de saxo, toujours sur fond de la très bonne basse de Mike Howlet et de belles nappes d’orgue (synthé). Enfin à 6mn57, la guitare de Steve Hillage remplace le saxo et les synthés à partir de 7mn avec de magnifiques riffs, particulièrement en final.

You Never Blow Your Trip Forever

Le dernier titre, le plus long (plus de 11mn) est essentiellement instrumental. Il termine aussi la trilogie Radio Gnome Invisible, œuvre essentielle de GONG que le groupe jouera souvent en fin de concert. Cette pièce est un mélange du versant mystique (rappelant le Mahavishnu Orchestra) et du versant instrumental de l’album avec une suite de parties très différentes mais dont l’enchaînement est réussi.

1ère partie (à 1mn50) : chant déjanté (voir paroles) rappelant ZAPPA sur une musique jazz funk ;

2ème partie (à 5mn) : partie qui commence doucement (flûtes) qui monte crescendo (à partir de 3mn30) avec chant sur accompagnement de guitares électriques et de basse puissante avec arrêt brutal à 5mn;

3ème partie (à 9mn) : reprise en sourdine du morceau précédent puis déconstruction/dissonances et ralentissement progressif (diminuendo);

4ème partie (à fin) : un nouveau motif principal apparaît sur un rythme lent aux accents orientaux (flûte) au chant incantatoire répété en litanie (You are I or I am you). Fin en fade out.

Bilan

La revue Rolling Stones a classé You parmi les 50 meilleurs albums de l’histoire du rock progressif. Au fil de ses expérimentations le groupe GONG a trouvé son style propre : une synthèse de rock psychédélique, de space rock, de jazz dans un format progressif avec une patrt importante de chant théâtralisé. Parmi les sources d’inspiration on peut citer le Kraut rock dont ASH RA TEMPEL, les groupes

MAGMA, PINK FLOYD,…

A l’achèvement de sa trilogie Radio Gnome Invisible, le groupe atteint son apogée avec les albums Angel's Egg et You qui sont presque au même niveau même si ma préférence va au premier. Les tensions sont aussi au plus

You sera le dernier album de la période Allen : dans un contexte de dissensions extrêmes Gilly Smith quittera GONG fin 1974 suivi par son compagnon Daevid Allen en avril 1975 puis de Steve Hillage et de son amie Miquette Giraudy en décembre.

Le groupe poursuivra sa carrière sous la direction de Pierre Moerlen dans un genre jazz-rock fusion abandonnant les dimensions space et progressive.

Jaime Prog